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mercredi, 08 juin 2005

ROSELYNE GODDARD. "Ce qui m'est arrivé à moi peut vous arriver à vous demain et à nos enfants et petits enfants après demain. Il faut vraiment se mobiliser pour que ça change. Pour que le procès d'Outreau serve à quelque chose."

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Roselyne Godard a tout perdu. La « boulangère » de l’affaire d’Outreau c’est elle. Mais remettons tout de suite les choses à leur place : « L’image de la boulangère de l’affaire d’Outreau me restera collée à la peau alors que c’est une image fabriquée de toute pièce par la justice et relayée par les médias ». Roselyne Godard n’a jamais été boulangère mais confiseuse, elle faisait de la vente de confiserie sur catalogue.
Tout démarre par une convocation au commissariat de police en avril 2001. « Ma vie a été laminée » déclare-t-elle avant de reprendre : « Un jour, on m’a donc convoquée au commissariat de police. Préalablement, ils étaient venus chez moi pour présenter une convocation à mon mari. Parce que justement ils cherchaient un boulanger dans l’affaire d’Outreau. Voyant que mon mari n’était pas boulanger, j’ai eu beau dire que moi non plus je n’avais jamais été boulangère de ma vie, on ne m’a pas entendu et 3 semaines après je me suis retrouvée au commissariat… et voilà…à partir de là, ma vie de femme heureuse a littéralement explosé. »
Roselyne Godard sera une des 17 accusés de l’affaire d’Outreau. En 2001, la police croit avoir démantelé un vaste réseau de pédophilie à la Tour du Renard, quartier défavorisé d’Outreau. Un couple est arrêté pour avoir violé ses 4 enfants, ils dénoncent leurs voisins et beaucoup d’autres. Les arrestations et incarcérations tombent en cascade. Les petites victimes accumulent les dénonciations, ils dressent des listes de noms d’adultes
impliqués. « Les enfants citaient les personnes qu’ils connaissaient, qu’ils avaient vu à la maison…. Ils parlaient d’un « boulanger », et à la 6eme liste «d’un boulanger et sa femme » et puis la femme du boulanger est devenue la « boulangère » et puis la boulangère a été incarcérée 16 mois et 3 jours. On m’a dit que j’étais un monstre. On m’a accusé d’avoir fait des choses innommables. Jamais je n’ai pu me faire entendre ».
L’incarcération a brisé cette mère d’une fille aujourd’hui âgée de 21 ans « C’était certainement le plus dur pour moi. Il y a une partie de moi qui est restée là-bas, en maison d’arrêt. A chaque moment de la journée j’y pense. Dès le réveil, je cherche la fenêtre pour être bien sûr de ne pas voir les barreaux. Vous n’avez plus aucune intimité. C’est terrible ! et puis il y a les humiliations… ». Sa détention prend fin le 13 Août 2002 ; Elle ne sera acquittée que le 2 juillet 2004 au terme d’un procès calamiteux.
Le revirement de la principale accusatrice, Myriam Badaoui a profondément fait basculer les choses. Outreau est un naufrage pour la justice française.
A sa sortie, la vie de Roselyne ne sera plus jamais la même. « Il y a un non-lieu mais vous savez ça suffit pas. Le passage entre les mains de la justice, c’est quelque chose qui marque à jamais… J’ai tout perdu : mon emploi, ma maison, mon mari » –qui la quitte alors qu’elle est en détention. « Et ça je n’arrive pas à le comprendre, c’est bien simple, il n’y a pas une minute depuis le 11 avril 2001 où je n’essaie pas de comprendre. Pourquoi moi ? »
Indulgente avec son accusatrice, Myriam Badaoui, remplie de compassion pour le calvaire vécu par les enfants, cette femme meurtrie parle sans détour de ses juges. « Le juge d’instruction se retranchait derrière son uniforme et son intime conviction. Il devrait avoir un peu de compassion pour nous parce qu’il a fait des erreurs et devrait le reconnaître, un minimum.. . Finalement, je le plains aujourd’hui parce que je me demande s’il peut se regarder dans une glace »… et d’ajouter : « Je n’ai aucune haine pour personne ; j’ai le sentiment que la haine m’humilierait ».
L’affaire d’Outreau a probablement cumulé tous les dysfonctionnements de la machine judiciaire. « Ils se sont imbriqués les uns dans les autres, explique Roselyne Godard qui estime « qu’on s’est laissé entraîner par l’horreur des actes supposés. Et pour ces affaires-là, de pédophilie, il faut mettre en place des structures indépendantes, spécifiques, adaptées pour le recueil de la parole des enfants. Ce ne sont pas les enquêteurs qui
doivent interroger les enfants. Sinon, on risque de passer à côté d’un enfant victime. »
Depuis qu’elle a retrouvé la liberté, Roselyne Godard consacre toute son énergie à son combat contre l’injustice. « Je veux faire entendre ce que j’ai vécu. Pour essayer de faire changer les choses ». Très marquée par la violence de son emprisonnement, elle veut se battre pour améliorer les conditions de détention. Celle qui à l’impression de « vivre une histoire de fou depuis le début de cette affaire », a aussi appris à apprécier les «
petites choses de l’existence et puis » ajoute –t-elle « j’ai aussi rencontré des gens merveilleux » dans ce qu’elle n’hésite pas à qualifier de « grande aventure humaine ». Aujourd’hui, si elle estime « avoir perdu la foi en la justice des hommes dès le premier jour où j’ai été entendue », Roselyne Godard « veut pouvoir entendre le mot « acquitté » pour mes 6 autres compagnons d’Outreau ». Le procès en appel devait s'ouvrir début mai. Et de conclure : « Ce combat ne se terminera que quand tous les 6 seront innocentés. Je vais être présente pour chacun à chaque instant… »

Nathalie de Besombes/Gamma