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mardi, 07 juin 2005

ANNE ET PHILIPPE SIRVENT. "Vous ne maîtrisez plus rien, votre vie ne vous appartient plus: elle appartient à la justice, vous ne décidez de rien, vous êtes dépossédé de vous§même... Il n'y a qu'une chose que vous pouvez faire; vous taire."

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Quand cette affaire débute, la famille Sirvent est ce qu’on appelle une « famille sans histoire », un famille unie qui mène une vie tranquille et rangée dans un petit village du sud près de Toulon. Philippe est officier de police. Anne est magistrate. Ils ont 2 enfants, Jean-Baptiste, 5 ans et Julie, 3 ans. Tout va s’assombrir très vite un jour de décembre 2001. Ce jour-là, leur fille aurait dit à son institutrice, en se tenant le bas ventre, « mon papa m’a fait mal » en lui montrant ses fesses et son pubis, et aurait ajouté « mon papa il m’embrasse là avec la langue (elle montre sa bouche).»
La spirale infernale se met en place : leur vie va basculer. Signalement de l’institutrice au parquet de Toulon, ouverture d’une enquête, mise en examen de Philippe, expertises et contre-expertise médicales pour Julie, mise sous contrôle judiciaire de Philippe avec interdiction de voir sa fille… ; le couple Sirvent est plongé au cœur d’un véritable cauchemar judiciaire que rien ne semble pouvoir arrêter. Philippe Sirvent est accusé du pire des crimes : avoir abusé sexuellement de sa fille. La preuve est là, le rapport du médecin expert a conclu que Julie a été partiellement déflorée. Le couple est sous le choc. Doublement : il y a d’abord l’horreur du viol de leur fille et ensuite l’accusation de Philippe qui crie son innocence dès la première seconde. Anne Sirvent évoquera par la suite dans le livre « Papa a fait mal » (Calmann-Levy) qu’ils ont écrit à 4 mains, « une mécanique froide qui va nous broyer ». Ne pouvant se résoudre à l‘idée du viol, Anne Sirvent a l’idée de demander une 2ème expertise médicale sur sa fille. Le diagnostic tombe :« cette enfant n’a rien ». Le premier médecin expert a fait une erreur…« Les seuls attouchements qu’a subis ma fille ce sont ceux de l’institution judiciaire » constate amèrement Philippe. Mais impossible d’enrayer la machine. Philippe Sirvent est ensuite présenté au juge qui, convaincu de sa culpabilité, le met en examen pour viol sur mineur et veut le faire incarcérer. « Je suis pieds et poings liés, exposé à la vindicte judiciaire, qui me somme d’expier une souillure imaginaire ». Parce que c’est véritablement ce qui a été le plus dur pour ce père de famille : « dans cette affaire, il n’y a pas eu d’infraction pénale ! alors que
dans d’autres affaires comme Outreau par exemple, on est face à des enfants martyrisés, il y a des éléments matériels ; dans notre cas, les faits reprochés ont été imaginés par l’institution judiciaire… Notre fille était heureuse, et finalement c’est l’institution qui la rend malheureuse… c’est du grotesque ! de la folie ! » Et puis il a fallu faire face à « cet acharnement des uns et des autres pour essayer de faire coller à la réalité ce crime
imaginaire… »...« A l’imagination, il fallait donc opposer la raison », expliquent–ils encore « c’est-à-dire aller voir un expert compétent, rassembler des témoignages de ceux qui connaissaient notre fille, notre façon de vivre, nos valeurs, notre éducation… Ceux qui ont voulu notre perte se sont privés de tout cet éclairage qui était essentiel pour voir si ce qu’on nous reproche était vraisemblable ou pas ». Et Anne Sirvent de reprendre « le
juge de Toulon a tout fait pour nous nuire, pour nous précipiter dans l’abîme, il a œuvré contre nous ! en un minimum de temps !
Son attitude m’est encore incompréhensible aujourd’hui. »
Dans la foulée, Philippe Sirvent sera présenté au juge des libertés qui le placera sous contrôle judiciaire avec interdiction de voir sa fille. Un 3ème examen gynécologique de Julie est demandé par le juge. Il aboutira aux mêmes conclusions : Julie n’a pas été agressée sexuellement. Mais la procédure judiciaire suit son court. Philippe Sirvent reste « présumé coupable » ; il est soumis à l’examen de différents psychiatres. Les jours passent, puis les mois. Et toujours pas le non-lieu tant attendu. Julie est elle aussi entendue par une psychologue. L’affaire est délocalisée à Nîmes. Il faut attendre une audience, le 24 avril, pour que Philippe ait le droit de revoir sa fille.
Le non –lieu tant attendu arrivera par lettre recommandée le 30 Octobre 2002. « cette ordonnance de non-lieu est consternante, elle est décevante, et elle montre bien l’arrogance de l’institution qui même quand elle se trompe même quand elle crée une infraction, ne s’excuse pas ! » s’emporte Philippe Sirvent, « Parce que finalement un non-lieu, c’est l’action publique qui s’arrête à cause « de charges insuffisantes » mais dès le départ
dans cette affaire, il n’y avait pas de charges ! » et d’ajouter : « On ressort broyé d’un non-lieu, vous savez. »
Voilà pourquoi ils ont voulu écrire leur livre. « Le fait que l’on rende publique cette histoire nous a permis de redresser la tête » affirme Anne ; « le non-lieu, on a voulu lui redonner tout son sens, c’est-à-dire : notre affaire est une affaire qui n’avait pas lieu d’être. Voilà ce que ça veut dire un non-lieu ». Et de préciser encore :
« Contrairement à l’acquittement, qui est vraiment l’innocence reconnue publiquement, le non-lieu est rendu
dans l’intimité d’un cabinet, personne n’est au courant, il laisse toujours planer un doute »...« Et puis, renchérit Philippe, «il fallait écrire ce livre pour notre fille, c’est son histoire. Elle avait 3 ans. c’est notre devoir en tant que parents, c’est le seul devoir de cette affaire, lui dire ce qui s’est passé ». Alors pourquoi eux ? « et pourquoi pas nous », répondent-ils en cœur. « Je crois qu’on est tous égaux devant la loi et tous égaux devant l’erreur judiciaire », ajoute Philippe.
Ce qui est sûr c’est que ce couple a changé. « On ne ressort pas indemne d’une « mésaventure » judiciaire comme la nôtre » explique Philippe. « Moi, enchaîne son épouse, j’ai certainement perdu cette confiance naturelle que j’avais en l’autre et en l’institution judiciaire. Je me suis rendu compte que les magistrats étaient désespérément humains et que leurs comportements étaient parfois dictés par tout autre chose que l’idéal de
justice, à savoir des sentiments qui peuvent être l’ambition, la lâcheté, la peur ; c’est une révélation qui m’a fait mal ! »
Alors que changer dans ce système ? « vous savez, notre affaire est un condensé d’erreurs, de mauvaises appréciations et de petits dysfonctionnements mais qui, mis bout à bout, causent de gros dégâts.. Et je pense que cela peut se reproduire mais, je vais peut-être vous choquez, pour moi ce n’est pas la faute du système. Le système il est ce que les gens en font. La seule leçon qu’il faut tirer de cette affaire, je crois, c’est que la justice, c’est l’affaire des juges avant d’être l’affaire d’un système. J’estime que notre système n’est pas plus mauvais qu’un autre, il doit surtout y avoir de bons juges. S’il y a quelque chose à changer c’est bien la mentalité de certains magistrats. Parce que si vous analysez les dysfonctionnements, vous verrez que ce sont les défaillances humaines, tout simplement, des gens qui n’ont pas su reconnaître leur erreur… S’il n’y a pas des gens suffisamment vigilants à toutes les étapes de la procédure pour analyser de façon plus réfléchie et sereine une situation, et bien on n’évitera jamais ce genre d’errements.
Et Philippe Sirvent d’évoquer la nécessité du « retour aux bases, aux grands principes du Droit (le doute, la neutralité, l’humilité ) » et d’aborder la question de « l’indépendance du juge qui ne peut se concevoir qu’avec une certaine responsabilité ». « Il est difficilement compréhensible d’imaginer qu’on puisse mettre des personnes innocentes en prison et qu’on ne puisse pas demander des comptes et sanctionner l’institution judiciaire »
Si dans la tourmente, Philippe Sirvent a failli tout lâcher, « ne voyant plus le bout du tunnel », Anne Sirvent elle n’a jamais fait d’amalgame « Je reste attachée à l’idéal de justice et je pense qu’à mon petit niveau je peux y contribuer ! J’estime que j’y ai plus que jamais un rôle à y jouer, je ne me défausserai pas sur les autres, ce serait un abandon, une fuite ».
Et de conclure : « Mais il ne faut pas se faire d’illusion sur les hommes, il n’y a que ceux qui voudront changer les choses qui le feront, les autres resteront bouffis de certitudes ! Une histoire comme la nôtre peut arriver encore… »

Nathalie de Besombes


« Papa a fait mal » (Calmann-Levy)